Posté à 5h00
                Nicolas Bérubé La Presse             

Chapitre 1 : “Hé, blonde, viens ici !” »

Sainte-Thérèse — Il était peu après 19 h 30. quand l’homme est allé déposer un rapport de police. Un jeune homme blond vend du cannabis en face du poste de police, leur a-t-il dit. Les policiers sont sortis et ont arrêté l’adolescent. « Hé, blonde, viens ici, on veut te parler ! C’était une chaude soirée d’été, le vendredi 28 juillet 1972, au centre-ville de Sainte-Thérèse, dans les Basses-Laurentides. L’adolescent, André Vassart, 16 ans, menait une vie tranquille. Fragile, aux cheveux longs, il était le troisième d’une famille de quatre, aimait la musique pop, regardait la télé et agaçait sa famille en apprenant à jouer de la guitare sans grand succès. André Vassart avait fait parler d’eux quelques années plus tôt à cause d’un exploit médical : né avec un problème cardiaque, il était à l’âge de 9 ans l’un des premiers Québécois à subir une opération cardiaque réussie. L’adolescent a gardé de cet épisode une peur de l’activité physique, a confié plus tard au tribunal son père, Maurice Vassar, conciliateur au ministère fédéral du Travail et ancien président syndical à l’usine General Motors de Sainte-Thérèse. Sur le trottoir, voyant qu’il était interpellé, André Vassart s’éloigna. Il s’est alors mis à courir pour s’enfuir et les deux policiers lui ont couru après. L’un d’eux, l’agent André Goulet, a sorti son arme. Quelques minutes plus tard, André Vassart gisait sur le sol du village qui l’avait vu grandir, atteint à la tête d’une balle de .38. L’adolescent a été transporté en ambulance à l’hôpital Saint-Jérôme, où il a été déclaré mort. Le lendemain, samedi, la nouvelle de la mort de l’adolescent se répand à Sainte-Thérèse. PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE Marie-Andrée Petelle

La foule grandit

Marie-Andrée Petelle, institutrice alors âgée d’une trentaine d’années, apprend à la radio la mort du jeune Vassart. Le rapport indique qu’une manifestation se prépare dans le centre de Sainte-Thérèse, devant le commissariat et la mairie. “Ma maison était à cinq minutes à pied et j’ai décidé d’y aller”, a-t-il déclaré. Sur place, Mme Petelle a été surprise par l’ampleur de la foule, qui comptait déjà plusieurs centaines de personnes. “Il y avait un mélange de tristesse, d’incompréhension et de colère”, se souvient-il. Des gens pleuraient, d’autres étaient venus avec leurs enfants, il y avait des jeunes qui commençaient à maudire la police…” Le soir, plus de 1 000 personnes se trouvaient dans le centre de Sainte-Thérèse qui comptait à l’époque 7 000 habitants. La brigade anti-émeute de la Sûreté du Québec est sur les lieux, ainsi que de nombreux policiers appelés en renfort des villes avoisinantes. Un nom flotta dans la foule. Nous recherchions le policier dont la balle a tué l’adolescent, l’agent André Goulet.

Chapitre 2 : “C’était dangereux”

Le policier André Goulet, 21 ans, vivait avec ses parents dans une petite maison à deux étages de la rue Saint-Jean, au centre de Sainte-Thérèse. Les manifestants ont rapidement trouvé l’endroit et ont commencé à éclater. « Nous voulons Goulet ! On veut Goulet ! “, ont-ils scandé. Douze jeunes hommes ont saisi le camion de Goulets sur la route et l’ont renversé, le laissant avec ses roues pointant vers le ciel. À l’intérieur de la maison, Elie Goulet, père d’André Goulet, était assis dans son salon, deux fusils de chasse à ses côtés, prêt à tirer sur quiconque tenterait d’entrer chez lui. “S’ils m’attaquent, je me défendrai”, a-t-il déclaré aux journalistes. André Goulet était caché à l’intérieur, mais personne n’est entré. Dans la soirée, le centre de Sainte-Thérèse est saccagé par des émeutiers. Beaucoup ont peint d’immenses “V” en blanc sur les édifices publics, à la mémoire du jeune Vassart. Voulant disperser la foule, la police a tiré des gaz lacrymogènes. Gaston Charest était de service ce soir-là. Policier à Blainville, M. Charest avait été dépêché à Sainte-Thérèse pour venir en aide aux policiers locaux débordés par l’immensité de la foule. PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE Gaston Charest “C’était dangereux”, se souvient-il. Il fallait faire attention car les gens nous lançaient toutes sortes d’affaires. Il fallait avoir les yeux autour de la tête. Les gens sur le balcon du deuxième étage nous lançaient des choses. Nous avons frappé à la porte et sommes allés amener le gars à l’étage. Nous ne plaisantions pas. » Alors qu’il s’agenouillait pour faire un rattrapage rue Blainville Est, Gaston Charest a reçu un coup de pied derrière son casque, un geste capté sur une photo de presse. “Heureusement, le manifestant portait des chaussures de course, pas des bottes, donc ils ont absorbé une partie de l’impact et je n’ai pas été blessé”, se souvient le policier maintenant à la retraite. TYPE D’ARCHIVES PHOTOS Gaston Charest a reçu un coup de pied derrière son casque.

Une année agitée

L’année 1972 s’inscrit dans une ère de contestation au Québec, se souvient l’historien Martin Rogers. Deux ans plus tôt, la province avait été plongée dans la crise d’octobre, avec l’introduction de la Loi sur les mesures de guerre par le gouvernement de Pierre Elliott Trudeau. “Il y avait un esprit de méfiance à l’égard de l’autorité dans l’air”, a-t-il déclaré. La contestation était menée, entre autres, par des étudiants, alors que les personnes qui se mobilisaient pour les manifestations à Sainte-Thérèse étaient également des étudiants. » De nombreux jeunes sont descendus dans la rue pour dénoncer la mort d’André Vassart, mais aussi les brutalités policières en général. Ils ont accusé la police de harceler et de tabasser des adolescents en toute impunité sous prétexte qu’ils avaient du cannabis sur eux ou qu’ils en avaient consommé. En général, le Québec était aussi beaucoup plus violent à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui. La province a enregistré 150 homicides en 1972, contre 87 en 2021. Dans la nuit du soulèvement du 29 juillet, 24 manifestants, dont le fils du maire de Sainte-Thérèse, René A. Robert, sont arrêtés. Le lendemain matin, dimanche, des éclats de verre craquaient sous les chaussures des quelques passants sur les trottoirs du centre-ville. L’endroit était désert, mais il n’allait pas le rester longtemps. Dans l’après-midi, une foule a commencé à se rassembler devant le poste de police. Vers 20h30, plus d’un millier de personnes s’y trouvaient, selon des journalistes sur place.

“Loi anti-émeute”

Dans son bureau, le chef de la police par intérim, Yvon Joyal, regardait nerveusement la foule envahir la rue pour la deuxième nuit consécutive. “Il y en a qui vont jeter des bouteilles, on va être obligés de réagir et on va continuer à dire que c’est la police qui utilise la force”, a-t-il déclaré au Journal de Montréal. Quelques instants plus tard, des bouteilles ont éclaté et la police anti-émeute est sortie avec des casques et des matraques pour arrêter les émeutiers. La police a tiré des dizaines de grenades lacrymogènes. À 22 h 45, le maire René A. Robert est monté sur le trottoir. Devant 300 personnes, il a officiellement proclamé la “loi anti-émeute”, c’est-à-dire l’article 68 du Code pénal, aux termes duquel toute personne se déplaçant dans une certaine zone peut être arrêtée et emprisonnée indéfiniment. Le maire Robert est monté dans une voiture de patrouille pour répéter son ordre par haut-parleurs. Lancé à…