Pierre angulaire de ses promesses de campagne, le référendum proposé par Marine Le Pen vise à amender la Constitution française, dans le but affiché de permettre à la France de concilier son engagement européen avec le maintien de sa souveraineté et la défense de ses intérêts. Ce projet de révision constitutionnelle, vraisemblablement impossible selon les juristes et les constitutionnalistes, conduirait à de nombreux désaccords avec l’Union européenne (UE) et, de fait, à remettre en cause l’adhésion de la France à l’UE.

Confirmer la suprématie du droit français sur le droit européen

En l’amendant par référendum, Marin Le Pen veut faire en sorte que la Constitution « prévale sur le droit international. « Une fois ce principe établi, (…) les juges français ne pourront plus invoquer les dispositions des traités ou accords internationaux contraires à la Constitution. Cependant, quel que soit le contenu de la Constitution française, les règles européennes prévoient la primauté du droit de l’Union sur le droit national des États membres. Cette “première étape” a été introduite en 1964 par l’arrêt Costa contre ENEL : dans cet arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a jugé qu’il impliquait une “restriction permanente de leurs droits souverains”. Ce principe a depuis été confirmé par la Déclaration no. 17 annexé au traité de Lisbonne, qui a été ratifié fin 2007. Lire aussi : Marin Le Pen et l’État de droit : ce que disent les juristes du travail d’examen institutionnel
Deux options s’offrent donc à un hypothétique gouvernement du Rassemblement national (RN) hostile à cet état de fait. La première serait la renégociation des traités européens pour y inclure la suprématie des droits nationaux. Mais cela nécessite l’accord unanime des vingt-six autres États membres de l’UE : très peu probable. La deuxième solution serait de libérer unilatéralement la France dès le début de la présidence, sans rien demander à personne. Ne pas le faire, cependant, conduira inévitablement à la persécution de l’UE, ce qui pourrait conduire à des sanctions économiques importantes (et à une marginalisation politique). “Inscrire la suprématie du droit français dans la Constitution serait donc un Frexit ‘soft’”, estime le constitutionnaliste Dominique Rousseau dans un entretien au Monde. “Ce serait nous retirer progressivement ou indirectement de l’Union européenne. »

Rétablissement des contrôles aux frontières sur les humains

La France fait partie de l’espace Schengen depuis 1995, où les gens peuvent se déplacer librement, sans passeport ni contrôle. Cela signifie que, sauf exception, il n’est plus possible pour un pays de contrôler ses frontières avec d’autres pays européens. Le principe est que les États membres se font confiance pour contrôler l’entrée des personnes par les frontières extérieures de l’espace Schengen. Par exemple, un étranger non européen entré (légalement ou illégalement) en Italie peut alors voyager librement en France. Marin Le Pen entend renégocier les accords de Schengen pour “remplacer l’absence de tout contrôle aux frontières par des procédures de transit simplifiées pour les citoyens des Etats de l’Union européenne”. En clair, elle veut rétablir les contrôles afin de pouvoir détecter les citoyens non européens franchissant la frontière. Outre les complications pratiques que cette mesure entraînerait pour les Européens (qui ne pourraient plus franchir librement les frontières intérieures de l’Europe), elle est en contradiction directe avec l’esprit Schengen. Et là aussi, Marin Le Pen aurait deux options : renégocier les termes de cet accord de Schengen, à l’unanimité des États membres sur un nouveau texte (ce qui est peu probable). ou rétablir unilatéralement des contrôles aux frontières de la France, exposant le pays à d’éventuelles sanctions. Lire aussi : Article pour nos abonnés Marin Le Pen : un programme fondamentalement d’extrême droite derrière une image soft

Surveillance des frontières pour lutter contre l’entrée de marchandises frauduleuses

Comme pour les humains, les biens peuvent circuler librement dans le marché unique européen depuis 1993. Les États membres se font confiance pour vérifier que les produits non européens respectent les normes européennes (en matière de santé ou d’environnement) lorsqu’ils pénètrent dans le sol. Par exemple, une cargaison de bœuf canadien contrôlée pour la première fois à son arrivée dans un port allemand n’est pas revérifiée à son entrée en France. Marin Le Pen s’oppose à ce système : « Un Etat doit savoir quelles marchandises entrent ou sortent de son territoire », écrit la candidate dans son émission, convaincue que le marché français. Revenir à la libre circulation des marchandises, l’une des quatre “libertés fondamentales” de l’UE, obligerait une fois de plus Marine Le Pen à obtenir l’accord unanime de vingt-six autres États européens (ce qui est peu probable) ou à désobéir en exposant la lui-même aux sanctions.

Réduction drastique de la contribution de la France au budget européen

Une simple ligne dans le chiffrage du programme de Marin Le Pen le promet : une « baisse de la contribution de la France au budget de l’UE » permettrait de récupérer 5 milliards d’euros par an. Le candidat fait semblant d’ignorer que le montant de la contribution n’est pas volontaire : il résulte d’un calcul qui prend en compte le revenu national brut, la TVA, les droits de douane, etc. “Les modalités du plan de financement pluriannuel devraient être renégociées avec tous les États membres”, a déclaré Tania Racho, docteure en droit européen et membre du collectif Les Surligneurs. Pour les cinq prochaines années, il est déjà trop tard, car le dernier plan voté couvre la période 2021-2027. Dès lors, la seule option offerte à Marine Le Pen serait de décider unilatéralement de ne pas payer la totalité de la contribution française : le non-respect de ses obligations expose à nouveau la France à des poursuites judiciaires et à des sanctions financières.

Instaurer la priorité nationale pour l’emploi, le logement et les minima sociaux

“Réservation des allocations familiales aux familles dont au moins un parent est français”, “mise en place d’une priorité nationale d’accès aux logements sociaux et étudiants”, réservation d’emplois aux Français : si Marin Le Pen entend contourner l’inconstitutionnalité de ces propositions Par la révision de la Constitution française, ils resteront contraires au droit de l’Union européenne quoi qu’il arrive. L’article 18 du traité sur le fonctionnement de l’UE interdit toute discrimination fondée sur la nationalité, et l’UEO a déjà décidé que les Européens devraient avoir des droits égaux en matière de logement et d’emploi dans un autre pays de l’UE. “Un citoyen européen doit être traité comme un citoyen “, résume l’avocate Tania Raho. Face à cet obstacle juridique, Marin Le Pen pourrait être tenté de choisir à terme une “priorité européenne” afin de donner la priorité aux citoyens européens sur les étrangers non européens. Cependant, même affaiblie, cette mesure irait à l’encontre de la Charte européenne des droits fondamentaux qui interdit, dans son article 21, toute discrimination fondée sur la nationalité sous la protection de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Au-delà, deux solutions s’offriront à Marin Le Pen : sortir de la CEDH – ce qui implique une sortie immédiate de l’UE, ce qu’elle écarte – ou “arrêter de prendre en compte [de ses] opinion » – ce qu’il veut, mais ce qui est interdit, et placerait la France dans le club des États qui ne respectent pas les décisions de la CEDH, aux côtés de l’Azerbaïdjan, de la Turquie et de la Russie. Lire aussi : Cet article est pour nos abonnés Les risques et incohérences du plan financier de Marin Le Pen

La fin du travail isolé

Les dispositions sur le travail détaché, prévues par une directive européenne de 1996, permettent aux entreprises de l’Union de mettre à disposition du personnel intérimaire dans d’autres États membres sans être considérées comme des salariés du pays d’accueil. Dans son programme, Marin Le Pen promet d’”abolir le travail détaché”, un système qui selon elle encourage le “dumping social” en créant “une concurrence déloyale entre les entreprises françaises et les entreprises des pays de l’UE…