Posté à 17h00
                TEXTES : Caroline Touzin La Presse             
                PHOTOS : Olivier Jean La Presse             

Le rapport

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Léon, 4 ans Bureau du Département de la protection de la jeunesse, 13 h « Pauvre Coco ! » Catherine Thomasset rompt le silence pesant qui a envahi la salle. Nous sommes dans un bureau de DPJ à Montréal plus tôt cet hiver. L’employé vient de se voir attribuer un cas extrêmement urgent – un “code 1”. Le rapport est inquiétant. “Êtes-vous prêt ?”, demande l’assistante clinique Isabelle Negri-Corbeil avant d’énumérer les blessures de l’enfant. “Non, mais continuez quand même”, répond l’ouvrier expérimenté. La liste des “blessures inexpliquées” est longue. À la fin de la journée précédente, une mère s’est présentée à l’urgence d’un hôpital de Montréal avec son fils de 4 ans parce qu’elle n’arrivait pas à arrêter un saignement des lèvres. A la vue du petit Léon*, le personnel a tout de suite suspecté un abus. L’équipe d’abus du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, pour laquelle Mme Thomasset travaille, nous a contactés rapidement. C’est ce groupe qui s’occupe de tous les signalements d’abus graves dans la métropole. PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Catherine Thomasset, intervenante de la DPJ dans l’équipe Abus du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal Le garçon a le visage enflé. Yeux de « raton laveur », comme décrit par le personnel de l’hôpital. Fentes sur les lèvres et le menton. Des ecchymoses “partout” sur le corps, dont une qui couvre toute la largeur du dos. Certaines contusions sont anciennes. D’autres, très récemment. Il a aussi une “vieille” brûlure sur une main. Et ce sont les blessures visibles. L’enfant va subir une série de tests à l’hôpital aujourd’hui pour déterminer s’il a des os cassés ou des lésions cérébrales. La probabilité d’être atteint d’hémophilie doit également être évaluée – le volume des encres est impressionnant. L’assistante clinique interrompt sa description pour laisser l’orateur – et le représentant de La Presse présent à la rencontre – absorber l’information. Selon la première version de la mère donnée aux urgences, l’enfant dormait dans sa chambre lorsqu’il l’a soudain entendu pleurer. La mère a dit qu’elle était seule avec son petit ami. Entrant dans la pièce, elle le trouverait par terre, en face du sol. Il serait “tombé du lit”. Il y avait beaucoup de sang sur le sol. L’enfant a peu ou pas de contact avec son père. La mère a un nouveau partenaire depuis six mois. “Hier, la mère a dit que son mari vivait avec eux. Nous n’avons pas son nom. Vous l’aurez compris, cette version a changé, se détend Mme Negri-Corbeil. Aujourd’hui, il dit qu’il ne vit pas avec eux, mais qu’il est souvent là. » PHOTO MARTIN TREBLE, ARCHIVES DE PRESSE Isabelle Negri-Corbeil, assistante clinique DPJ au CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal La veille, en plus d’être « tombée du lit », la mère a eu peu d’explications quant à la nature des blessures. La vieille brûlure ? Il se serait endormi sur un radiateur. L’ecchymose imposante sur le dos ? Il serait tombé pour un match. Et les autres bleus ? Pas clair. Aujourd’hui, elle dit que son enfant est “la tête en l’air”, “maladroite” et qu’elle tape partout. “Plus l’hôpital pose de questions, plus Madame devient froide”, dit Negri-Corbeil. Il n’a aucune objection aux examens, mais dit au personnel de se dépêcher, qu’il a des choses à faire. » Leon a fréquenté la maternelle jusqu’à l’automne dernier. Sa mère l’a sorti, citant COVID-19. Là encore, une ambiguïté demeure. Avait-il peur d’attraper le virus ? Ou le contrat ne lui revient-il pas ? Une chose est sûre : ce retrait coïncide avec l’arrivée du nouvel homme dans la vie de la mère. “Je n’aime pas cette coïncidence, lâche l’intervenante DPJ. Qu’est-ce que le jardin d’enfants ne voulait pas voir? »

  • Les noms des enfants et des parents, ainsi que certains détails de leur histoire, ont été modifiés afin de maintenir l’anonymat des enfants, comme le stipule la loi pour la protection de la jeunesse.

Des chercheurs

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE De gauche à droite : DPJ Catherine Thomasset avec Julie Bernier et Geneviève Robidas, agentes du SPVM Child Abuse Unit Hôpital de Montréal, 16 h 30 ” Oh mon Dieu ! ” La sergent-détective Geneviève Robidas du Service de police de Montréal (SPVM) fixe l’écran de la caméra. Sur la photo : un gros plan du visage enflé de Léon. Ressemble à un raton laveur. “On a tous la même réaction”, a déclaré le médecin urgentiste qui venait de lui passer l’appareil. L’hôpital où il a été admis la veille a minutieusement documenté toutes les blessures de l’enfant. Dans de tels cas, la DPJ collabore en équipe avec la police dans le cadre d’une entente multisectorielle. Une poursuite pénale pourrait être engagée. L’employée Catherine Thomasset a une première rencontre avec le personnel infirmier avec un duo de chercheurs du module Abus physiques envers les enfants du SPVM. Le petit est venu pour la première fois aux urgences plus tôt ce mois-ci pour un jouet coincé dans son nez. Pourtant, des contusions ont déjà été observées lors de cette première visite, apprennent la DPJ et la police. Ni la mère ni le mari n’ont d’emploi. Lorsque l’enfant s’est éloigné de la crèche, ils étaient les deux seuls adultes en contact avec l’enfant. Ils deviennent des suspects potentiels. En plus des blessures corporelles, Léon a un retard de langage important. Il parle comme un enfant de 1 an quand il en a 4. Et un retard de développement moteur. Ça tourne juste. Le médecin vient de recevoir les résultats des radiographies. Leon a une triple fracture de la mâchoire. “Cela n’a pas pu arriver en tombant du lit”, a déclaré le médecin, qui a consulté d’autres collègues spécialistes pour parvenir à cette conclusion. Une blessure “à grande vitesse” est nécessaire pour provoquer une telle blessure. Les chercheurs et la DPJ prennent des notes. Le médecin a dit à la mère que l’hôpital soupçonnait que “quelqu’un” avait causé les blessures à l’enfant. « Non, bien sûr que non », répondit la mère. D’autres tests révèlent qu’il n’a pas d’hémophilie. « A-t-on affaire au cas d’un enfant qui bouge trop, qui tape sur tout ? “La DPJ demande. « Non », répondit catégoriquement le médecin urgentiste. « Est-ce que toutes les contusions auraient pu se produire hier ? demande l’un des policiers. « Plus maintenant », selon le médecin.

La mère

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE Léon dans les bras de Catherine Thomasset, ouvrière de la DPJ Rencontre avec la maman, 17h30. “Ils prendront mon enfant, je le sais. » Dans le lit de son fils, la mère panique quand son médecin lui dit que la DPJ et la police veulent lui parler. Ce soir-là, il donne une version bien…