Une foule immense de plusieurs centaines de milliers de personnes s’est rassemblée sur la place Bolivar à Bogotá pour assister, dimanche 7 août, à l’investiture du premier président de gauche de l’histoire de la Colombie.
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Prêté serment devant une importante délégation d’invités internationaux, Gustavo Petro succède au très impopulaire Ivan Duque (2018-2022) pour un mandat de quatre ans qu’il entame avec le soutien de la majorité de gauche au Congrès. La Colombie, longtemps gouvernée par une élite conservatrice, est ainsi sur une trajectoire partagée par d’autres pays d’Amérique latine connaissant un virage à gauche.
Cet ex-guérilla de 62 ans a notamment réussi à offrir aux groupes armés opérant en Colombie des « avantages juridiques » s’ils signaient la paix : « Nous appelons (…) tous les groupes armés à reléguer leurs armes dans les nébuleuses du passé. Accepter des avantages juridiques en échange de la paix et en échange de la fin définitive de la violence », a-t-il déclaré.
Bien que l’accord de paix avec les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC, marxistes) en 2016 ait réduit la violence, la Colombie n’a pas encore mis fin au dernier conflit armé interne du continent.
Outre l’Armée de libération nationale (ELN), de puissants gangs de narcotrafiquants comme le Clan del Golfo, dirigé par le baron “Otoniel” qui a été extradé vers les États-Unis cette année, appliquent leur loi dans plusieurs régions du pays. Et les dissidents des FARC défient également l’État avec des ressources provenant de l’exploitation minière illégale et, notamment, du trafic de drogue.
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Apporter “le calme et la paix” en Colombie
A ce stade, M. Petro propose de faire le point sur l’échec de la politique d’éradication des cultures, en coopération avec les Etats-Unis, principal consommateur de ce dérivé de la feuille de coca.
Il a également estimé qu’”il était temps d’avoir une nouvelle convention internationale qui accepte que la guerre contre la drogue ait échoué”, en faveur d’une “politique forte de prévention de la consommation” dans les pays développés. Selon lui, en quarante ans de lutte contre la drogue, “un million de Latino-Américains” ont été assassinés et 70 000 Nord-Américains succombent “chaque année à des overdoses”.
La Colombie est le premier producteur mondial de cocaïne, les États-Unis étant son principal client. “La guerre contre la drogue a renforcé les mafias et affaibli les États”, a noté celui qui a abandonné l’insurrection armée il y a trois décennies.
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« Le premier gouvernement, que nous espérons être un gouvernement de paix, est sur le point de commencer. Nous espérons qu’il pourra apporter à la Colombie ce qu’elle n’a pas eu depuis des siècles, c’est-à-dire la tranquillité et la paix”, avait-il déjà déclaré samedi dans la capitale lors d’une première cérémonie d’intronisation entre indigènes, afro-colombiens et agriculteurs.
“Je ne veux pas deux pays, tout comme je ne veux pas deux sociétés. Je veux une Colombie forte, juste et unie”, a-t-il déclaré avec émotion lors de son discours d’introduction dimanche.
Un gouvernement pluraliste avec des femmes à la tête de nombreux portefeuilles
Cette photo publiée par le bureau de presse présidentiel montre le nouveau chef de l’État colombien Gustavo Petro prêtant serment à la vice-présidente Francia Marquez lors de leur cérémonie d’investiture sur la place Bolivar à Bogota, le 7 août 2022. CAPTION / AFP
L’ancien chef de l’opposition depuis deux décennies prend ses fonctions avec en tête une série de réformes qui suscitent des attentes chez ses partisans depuis sa victoire du 19 juin.
Avec elle, l’écologiste Francia Marquez, 40 ans, est la première vice-présidente afro-colombienne d’une nation historiquement dirigée par des élites masculines blanches. Gustavo Petros a formé un gouvernement pluraliste, avec des femmes à la tête de plusieurs portefeuilles, chargées de faire passer des réformes qui commenceront leur parcours législatif lundi.
Cherchant des ressources pour financer des plans de réforme sociale, les projets de loi visent à augmenter les impôts des plus riches, à améliorer leur collecte et à taxer les boissons sucrées. Mais “le niveau d’endettement et de déficit budgétaire que nous avons constaté est critique”, estime Daniel Rojas, l’un des coordinateurs du comité de transition avec le gouvernement de son prédécesseur Ivan Duque.
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Mais M. Petro entend tenir sa promesse de réduire l’écart entre les plus riches et les plus pauvres en élargissant l’accès au crédit, en augmentant l’aide et en mettant l’accent sur l’éducation.
Alors que l’économie colombienne s’est remise de la pandémie et a renoué avec la croissance, l’inflation de 10,2 % en juillet, le chômage de 11,7 % et la pauvreté de 39 % rendent les défis encore plus grands.
Réduction de la dette extérieure pour “la convertir en actions concrètes” pour le climat
Afin de protéger les “poumons de la planète”, M. Petros a proposé à la communauté internationale la réduction de la dette extérieure au profit du financement d’actions “pour sauver et restaurer nos forêts”.
“Oui, le FMI [Fonds monétaire international] aide à transformer la dette en action réelle contre la crise climatique, nous aurons une nouvelle économie prospère et une nouvelle vie pour l’humanité », a-t-il expliqué.
Sur le plan international, M. Petro cherchera également un soutien pour la reprise des pourparlers de paix avec l’ELN, dernier groupe rebelle reconnu du pays, et réactivera les relations diplomatiques et commerciales rompues depuis 2019 avec le voisin de Nicolas, le Venezuela Maduro. Le président vénézuélien l’a également félicité dans une vidéo : “Je tends la main au peuple colombien, au président Gustavo Petro, pour reconstruire une fraternité basée sur le respect et l’amour entre les peuples”.
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Le Monde avec AFP et Reuters