Posté à 12h00
                Jean-Christophe Laurence La Presse             

1. Le déclencheur

Le 8 juillet, l’ancien Premier ministre japonais Shinzo Abe a été assassiné dans la rue lors d’un discours. Le tueur, Tetsuya Yamagami, a expliqué vouloir punir l’homme politique, lié selon lui à une “organisation spécifique”, qu’il accuse de détruire sa famille. Les médias locaux en ont rapidement déduit que l’organisation en question était l’Église de l’Unification, plus connue sous le nom de “Moon Sect”. Selon la presse japonaise, la mère du tueur aurait donné 100 millions de yens (près d’un million de CAN) à l’organisation religieuse. Son manager au Japon a plaidé que les dons de ses membres étaient volontaires et que personne n’avait forcé l’adepte à faire don de sa chemise. Cette histoire a braqué les projecteurs sur la “Moon Sect” et ses liens avec le monde politique.

2. Une relation à long terme

L’Église de l’Unification dit que Shinzo Abe n’était pas membre. En revanche, l’ancien chef du Parti libéral démocrate (PLD) avait de nombreux liens avec la secte de la Lune, indirects, mais anciens. Comme l’explique Arnaud Grivaud, spécialiste de la politique japonaise contemporaine à l’université Paris Cité, c’est grâce au grand-père de M. Abe et co-fondateur du PLD Kishi Nobusuke (premier ministre de 1957 à 1960) que l’organisation sud-coréenne a pu s’imposer si répandue au Japon dès la fin des années 1950.

3. Financement détourné

Les relations se sont depuis multipliées entre les deux entités, qui partageaient la même idéologie conservatrice et anticommuniste. Selon M. Grivaud, la Moon Sect n’est pas étrangère au fait que le PLD a réussi à détenir le pouvoir pratiquement sans interruption depuis 1957. « Les services que la secte rendait aux politiciens étaient essentiellement des votes. Ils ont demandé à leurs partisans de voter pour un tel candidat PLD. Ils ont également envoyé des aides pour travailler gratuitement avec les députés. C’était une manière circulaire de financer le parti”, explique l’universitaire. Avec un “pacte un peu tacite”, le PLD faciliterait en retour les activités de l’Eglise, lui permettant notamment de changer de nom en 2015 afin de bénéficier d’avantages fiscaux. Le premier ministre de l’époque était… Shinzo Abe.

4. Le Messie

L’Église de l’Unification, désormais rebaptisée Fédération des familles pour la paix mondiale mais toujours désignée par les médias sous le nom de “Moon Sect”, a été fondée à Séoul en 1954 par Sun Myung Moon (1920-2012). Parti de rien, ce messie autoproclamé, qui aurait « rencontré » Jésus à l’âge de 15 ans, a bâti au fil des ans une organisation chrétienne de renommée internationale implantée principalement en Corée, au Japon et aux États-Unis. Il a également un chapitre à Montréal. PHOTO ED JONES, AGENCE D’ARCHIVES FRANCE-PRESSE Portrait du fondateur de l’Église de l’Unification Sun Myung Moon et de sa femme Hak Ja-Han, Gapyeong

5. Une hérésie ?

Le culte de la Lune a fait grand bruit dans les années 1980, avec ses “mariages de masse” réunissant des milliers de couples. Ses membres estiment qu’une troisième guerre mondiale sera nécessaire pour achever la mission pacifique du fondateur. Est-ce une hérésie ? “Je pense qu’il vaut mieux éviter ce mot, qui est associé à quelque chose de mauvais”, Mike Kropveld, directeur d’Infosect. Pour moi, c’est une façon très courte de décrire un mouvement qui prend plus de place. Professeur à la London School of Economics et experte en la matière, Eileen Barker préfère le terme “nouveau mouvement religieux”.

6. Un côté obscur

L’Église de l’Unification est aussi un véritable empire économique, générant des milliards dans la construction, l’alimentation, l’automobile, le tourisme, l’éducation ou les médias. Mais ce succès cache un côté sombre. Sun Myung Moon a été condamné en 1984 à 18 mois de prison pour évasion fiscale aux États-Unis et son Église, qui a été critiquée à plusieurs reprises pour avoir abusé financièrement de ses fidèles. Après la mort du révérend Moon, l’Église s’est effondrée dans une crise de succession. L’un des fils du révérend Moon a maintenant une branche qui soutient la possession d’armes à feu et autorise la présence de mitrailleuses pendant les services religieux.

7. Pari réussi

Arnaud Grivaud s’étonne qu’il ait fallu attendre un coup de force pour que les médias japonais se penchent sur les liens entre la secte et le PLD. Les activités politiques de l’organisation étaient pourtant bien connues, du moins aux États-Unis, où le révérend Moon a notamment soutenu Richard Nixon lors du scandale du Watergate. En ce sens, l’assassinat de Shinzo Abe est plus qu’une nouvelle, conclut M. Grivaud. “Si le but du tueur était aussi de faire parler de cette secte et de montrer les enjeux liés au monde politique, c’est réussi…” La section montréalaise de la Fédération des familles pour la paix mondiale n’a pas répondu aux messages de La Presse. Avec la BBC, Discovery, Al-Jazeera, The Conversation, Vice