Posté à 7h00
Pourtant, en 2019, la main-d’œuvre était partout. Dans les restaurants, les magasins, les bureaux, les services publics, les hôpitaux. Nous sommes arrivés quelque part, il nous a accueillis. Nous avons appelé quelque part, il nous a répondu. Partout où nous allions, il nous servait. Il en a toujours été ainsi, et vous n’auriez jamais pensé que cela changerait. Puis la pandémie est arrivée. Et les gouvernements ont tout fermé. Tout. Restaurants, magasins, bureaux. Arrangez-vous sans ! L’effectif est licencié ! Mais avec un salaire ! Il était payé pour rester à la maison. Une semaine, deux semaines, un mois, deux mois, six mois, un an, deux ans sur le CERB, la prestation canadienne d’urgence, devenue le PCP, la prestation canadienne permanente. Puis la pandémie est partie. Enfin, pas vraiment, mais on a fait semblant. Que voulez-vous, on s’ennuie ! On finit toujours par s’ennuyer. Une pandémie, c’est comme une histoire d’amour, au début on y pense. Nous en sommes complètement obsédés. Toute notre vie tourne autour de ça. Toutes nos habitudes en sont complètement bouleversées. Plus rien ne se fait de la même manière. Nous lui laissons toute la pièce. Il nous donne rendez-vous à 13h00, on arrête tout, on est là à 13h00. Il nous donne rendez-vous à 18h, on arrête tout, on est là à 18h. Elle nous dit que nous devons rester confinés, à la maison, uniquement avec elle. Nous restons confinés, à la maison, uniquement avec elle. Il nous dit de ne pas sortir après 22h. Nous ne sortons pas après 22h. Il nous dit de ne plus aller dans les bars et de ne plus faire la fête. On ne va plus dans les bars, on ne fait plus la fête. Il veut qu’on s’habille différemment, qu’on porte un masque. On s’habille différemment, on porte un masque. Elle ne veut pas que quelqu’un traîne avec quelqu’un d’autre qu’elle. Nous ne nous accrochons plus qu’à elle. Elle veut qu’on passe les vacances rien qu’avec elle. Nous passons les vacances uniquement avec elle. Nous faisons tout cela docilement, car nous sommes sûrs que rien n’est plus important qu’elle. Mais à la longue, on finit par revenir. Son nom ne nous passionne plus autant. Ça peut continuer à faire des vagues, on a envie d’aller se baigner ailleurs. On comprend qu’il n’y a pas qu’elle dans la vie. Nous revenons voir des gens autres qu’elle, même les serrer dans nos bras, même les embrasser. Notre existence reprend son cours normal. Cela ne peut pas durer tout le temps, l’abnégation totale. La passion de l’amour et la peur de la contagion ont une date d’expiration. Donc, après environ 20 mois, les gouvernements ont tout rouvert. Restaurants, commerces, communaux. Je vais! Je vais! Je vais! On y va encore une fois ! Aérez-vous ! On s’est coincé partout. Venez, venez, servez-nous ! Garçon? Manquer? Allez… Pas de service ! La main-d’œuvre n’est plus là. Le travail n’a pas été rendu. La main-d’œuvre est partie. Le PCU est-il en cause ? Félix a-t-il raison ? La meilleure façon de tuer un homme est de le payer pour qu’il ne fasse rien. Le travail est-il devenu une impasse ? Et bien non! L’effectif est toujours vivant. On ne sait plus où il est parti. Il faut noter qu’il y a malgré tout encore du monde dans les entreprises. Les patrons sont tous là. Mais les patrons ne sont pas des ouvriers. Les patrons sont des leaders. Pas forcément des chefs-d’oeuvre. Mais les dirigeants. Ils fonctionnent, mais nous ne les voyons pas. On ne les voit jamais. La main-d’œuvre, ce sont les travailleurs que nous voyons travailler. Eh bien, nous avons vu. Tous les autres qui ont des emplois aux étages supérieurs, bien payés, reviennent également. Ceux qui manquent sont ceux qui avaient les boulots pénibles, les boulots pas faciles, les boulots les moins bien payés. Nous nous demandons pourquoi nous les avons perdus. En leur disant de se réinventer, ils l’ont fait. Et aujourd’hui, on aimerait qu’ils reviennent à nos vieilles inventions. Pour justifier le paiement de salaires de marchandises, on a toujours avancé qu’il s’agissait d’une question de rapport de force. Il n’y a pas beaucoup de gens qui peuvent faire le travail du patron, alors traitez-le bien. Maintenant, nous nous rendons compte qu’il n’y a pas beaucoup de gens qui peuvent faire le travail de l’humble greffier, alors nous devons bien le traiter. Du coup, on se rend compte de l’utilité de chacun. Les absents ont toujours raison. Jamais la profession infirmière n’a été aussi valorisée que depuis qu’il y a pénurie. On reconnaît le bonheur au bruit qu’il fait en partant, disait Prévert. Le travailleur clé est reconnu de la même manière. La pénurie de main-d’œuvre fait beaucoup de bruit. La seule chose qui n’arrivera pas, quand ce sera parti, c’est la pandémie.