Dans l’assemblée, on croise aussi le regard émouvant des réfugiés ukrainiens, arrivés au Puy-de-Dôme au début de la guerre. Mais c’est une autre présence qui intrigue particulièrement : un homme, en tenue militaire kaki, képi sur la tête, vient d’être assis au premier rang. Selon nos informations, il est membre du bureau militaire de l’ambassade d’Ukraine en France. L’officier, qui a fait le déplacement depuis Paris, est aussi l’un des premiers à se lever pour parler un français hésitant. Un discours de deux minutes, lu devant les parents d’Adrien Dugay-Leyoudec, pour leur dire comment “l’engagement” de leur fils, qu’il a payé de sa vie, marquera à jamais l’histoire de son pays. Ceux qui étaient présents ce jour-là se souviennent d’un vibrant hommage. Rien à voir avec les simples mots “condoléances” que le Quai d’Orsay lui exprimera. Si la France a toujours “officiellement” déconseillé à ses ressortissants “tout voyage en Ukraine compte tenu des risques évidents et de toute raison invoquée”, Kyiv de son côté considère les combattants étrangers comme les siens. Après tout, c’est le président Volodymyr Zelensky lui-même qui a invité des volontaires de tous les pays à rejoindre la Légion internationale pour la défense de l’Ukraine dès les premiers jours de la guerre contre la Russie. Contactée par franceinfo, la préfecture du Puy-de-Dôme affirme ne pas avoir été informée de l’arrivée de cet officier ukrainien au crématorium de Clermont-Ferrand. A 600 kilomètres de là, dans les couloirs de la préfecture du Calvados, on semble aussi avoir découvert après coup qu’un attaché de l’armée ukrainienne était venu assister aux obsèques de Wilfried Blériot, 32 ans, premier Français mort au combat en Ukraine. Il n’y a pas de traitement particulier ici : “Nous essayons de l’offrir à toutes les familles”, qu’elles soient françaises ou étrangères”, assure Damien Magrou, porte-parole de la Légion internationale pour la défense de l’Ukraine. . Wilfried Blériot, premier combattant français tombé au combat en Ukraine. (LÉGION DE DÉFENSE INTERNATIONALE D’UKRAINE) La communication est également gérée par l’Ukraine, pas la France. Ainsi, le ministère français des Affaires étrangères apprendra la mort de deux de ses ressortissants au combat par l’intermédiaire de son ambassade basée à Kyiv, qui a elle-même reçu l’information des autorités ukrainiennes. Aussi, via un premier mail signé par le bureau militaire de l’ambassade d’Ukraine en France, et consulté par franceinfo, les parents d’Adrien Dugay-Leyoudec ont été informés, en juin, que leur fils “était soigné dans un hôpital militaire de Kharkiv” après avoir été blessé « lors d’une attaque au mortier russe le 1er juin 2022 ». Ce sont toujours les autorités ukrainiennes qui « reconnaissent officiellement le corps », confirme le Quai d’Orsay à franceinfo. Sur le terrain, “un acte de décès est dressé par le commandant de l’unité où se trouvait la victime, détaille Damien Magrou. Le corps est ensuite transporté à la morgue. Là, un acte de décès est dressé conformément à la loi ukrainienne.” C’est aussi aux équipes de la Légion internationale pour la défense de l’Ukraine, toujours au nom de l’État ukrainien, la lourde tâche d’informer les familles des étrangers qui ont perdu la vie au combat. “Comme je parle français, dit Damien Magrou, c’est moi qui l’ai annoncé aux proches de Wilfried [Blériot] et Adrien [Dugay-Leyoudec]. C’est un appel téléphonique qui n’est pas facile. On ne sait pas si la famille les a soutenus dans leur engagement.” « Cela fait chaud au cœur lorsque nous recevons des mots de remerciement de la part des familles, des mots de soutien pour l’Ukraine, pour la Légion, pour le travail que nous faisons. Damien Magrou, représentant de la Légion internationale pour la défense de l’Ukraine chez franceinfo A Kiev également pour organiser le rapatriement des corps vers la France, “en coopération avec l’ambassade de France à Kiev”, ainsi que “le Centre de crise et de soutien du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (. ..) puisqu’il s’agit d’un théâtre de guerre”, précise-t-il au Quai d’Orsay. En moyenne, « le rapatriement des corps prend entre dix et trente jours en Europe. Des sociétés privées se chargent du transport », décrit Damien Magrou. Le coût est entièrement supporté par l’Ukraine et précisément par le ministère de la Défense, confirme une source officielle. Pas les frais funéraires, en revanche, qui sont à la charge de la famille. Soutien moral, soutien logistique donc. Et un soutien financier aussi. Les familles des combattants étrangers peuvent, comme les soldats ukrainiens, recevoir une compensation monétaire si leur proche décède. Il y est fait référence au deuxième paragraphe (en ukrainien) de ce décret officiel sur “la protection sociale et juridique des militaires et des membres de leur famille”. Daté du 28 février, quatre jours après le début de la guerre, il est écrit qu’”une allocation unique de 15 millions de hryvnias”, soit 400.000 euros, “sera versée à parts égales à tous les bénéficiaires”. Il s’agit d’un montant “fixe”, “quel que soit le pays d’origine ou le grade du combattant”, confirme une source officielle ukrainienne à franceinfo. Quelque chose qui précise que “le mécanisme arrive petit à petit”. “Dans notre législation, les citoyens étrangers servant dans l’armée ukrainienne sont alignés sur l’armée ukrainienne.” Source officielle de l’État ukrainien chez franceinfo Récemment, des employés de l’ambassade d’Ukraine en France ont remarqué que des proches de Wilfried Blériot étaient venus déposer une gerbe devant leur local, situé dans le 7e arrondissement de Paris. “Après la guerre, si les familles endeuillées veulent venir en Ukraine, pour voir de leurs propres yeux où leurs fils sont morts, et là on sera là pour les accompagner, c’est très important pour nous”, promet cette source officielle de l’Etat ukrainien. En attendant que les bombes s’éteignent, David Dugay, le père d’Adrien, tient à rappeler à quel point son fils “n’était pas quelqu’un de bien”. “C’était un jeune homme idéaliste et courageux”, écrit-il dans un mail envoyé à franceinfo. “Le combat avec Poutine était le combat contre le totalitarisme, il combattait en Ukraine avant que la guerre ne nous arrive.” Le 18 juillet, au crématorium de Clermont-Ferrand, l’officier ukrainien s’est levé pour la deuxième fois à l’issue de la cérémonie. Il s’approcha du cercueil, saisit le drapeau ukrainien, le plia soigneusement. Avant de le donner aux parents d’Adrien Dugay-Leyoudec.